échappe totalement. kerguélen est au faîte de sa gloire, sa promotion comme capitaine de vaisseau n'a pas fait que des heureux, des coteries adverses s'organisent autour du héros du jour, sur l'échiquier de la comédie australe le pion DU boisguéhenneuc ne fait pas le poids. Il n'a que sa jeunesse, son expérience, sa fidélité à son ami SAINT-ALLOUARN, là où il lui aurait fallu de l'entregent, des relations, des relais bien en cour. Il y a lieu de croire que le second du « Gros-Ventre » ne vit jamais Versailles. kerguélen était déjà passé. Et la prise de possession de la côte australienne tomba dans les oubliettes. (152)

DU boisguéhenneuc lui-même a été contaminé par la folie australe, dont il a fait sienne la maxime sous-jacente : hors des terres nouvellement découvertes par M. DE kerguélen, point de salut. Dans son mémoire récapitulatif de ses états de service il passe totalement sous silence l'épisode de la Nouvelle-Hollande, alors qu'il s'attarde sur le débarquement dans la baie du Gros-Ventre (153).

Le miroir aux alouettes du mythique continent austral fut fatal à la vaillante expédition du « Gros-Ventre » - aussitôt reconverti dans le transport des boeufs sur Madagascar, avant d'être démâté et de se figer en rade de Port-Louis, stationnaire pataud, « dépôt de marins sans destination ». (154) Le « Gros-Ventre », que commandait SAINT-ALLOUARN, démâté et désarmé, devenu bâtiment stationnaire du Port-Louis (île de France) après l'expédition de 1772. (Aquarelle de Frédéric ROUX). (155)

DU boisguéhenneuc planta un espar au risque de sa vie ; il en sera récompensé. Le 7/VIII/1773, il reçoit une gratification extraordinaire de 1.200 livres (l'équipage se voit attribuer deux mois de salaire) ; le 19/IX il est fait chevalier de Saint-Louis, le 11/X lieutenant de vaisseau (156).

Parallèlement, une pension de 200 livres sur le trésor royal est accordée à chacun des quatre orphelins de Louis DE SAINT-ALLOUARN. (157)

DU boisguéhenneuc a survécu à une campagne harassante, mais sa santé est atteinte ; il doit renoncer à une nouvelle campagne des Indes et reste à terre deux années et demi durant. Il reprend du service en 1776 sur « la Perle », puis sur « le Robuste », mais le 6/III/1778, alors que vient d'éclater la guerre d'Indépendance américaine, il meurt sur ce dernier vaisseau. Il avait 38 ans. Sa veuve, Anne-Marie LE MOYNE DE PRÉFONTAINE, se voit accorder une pension de 500 livres sur les Invalides. Son fils Louis sera maire de Quimperlé. (158)

La prise de possession du « Gros-Ventre » est un coup pour rien, mais les Français ne vont pas pour autant se détourner de l'Australie. Premier Français à poser le pied sur le continent austral, le Malouin MARION-DUFRESNE a précédé SAINT-ALLOUARN de deux petites semaines, mais à l'opposé, sur l'île de Tasmanie. Les deux premiers Français à fouler le sol australien étaient donc Bretons. Il faut ensuite attendre 1788 pour voir arriver LA PéROUSE et ses beaux navires, « la Boussole » et « l'Australie ». Il accoste à Botany Bay, aujourd'hui en Sydney, cinq jours seulement après que le commandant PHILIPP y eût débarqué un premier contingent de quelque 700 colons-forçats. Inquiet des intentions françaises, l'Anglais fait précipitamment hisser l'Union Jack et prend possession de la Nouvelle Galle du Sud au nom de George III. Depuis lors, le 26/I est la fête nationale australienne (159). A la recherche de LA PéROUSE, Bruni D'ENTRECASTEAUX étudie la côte sud. Mais l'expédition majeure est celle, voulue par BONAPARTE en 1801-1802, de Nicolas BAUDIN qui relève plus de 600 kilomètres de côtes et donne des noms français à 400 ports et baies de l'ouest australien. François PÉRON, le naturaliste de la campagne, publie sous l'Empire les remarquables études scientifiques réalisées au cours du voyage (160). Les Français, à leur tour, envisagent de fonder une colonie de forçats en Australie occidentale, encore disponible, mais leurs tergiversations sont telles qu'une fois encore ils sont devancés par les Anglais. En 1829, l'Union Jack flotte sur l'ensemble du continent (161). Forts actifs, on le voit, sur les côtes australiennes, les explorateurs français n'ont pas trouvé de relais politiques à leurs exploits. Leurs relations de voyage n'ont suscité que velléités et atermoiements. Une chose est sûre : les rivages de la Nouvelle-Hollande n'ont pas précisément porté chance à nos aventureux marins : SAINT-ALLOUARN et BAUDIN sont morts à l'île de France, à leur retour d'expédition ; trois mois après son passage en Tasmanie, MARION-DUFRESNE est massacré par des Maoris de Nouvelle-Zélande ; à peine quitté Botany Bay, LA PÉROUSE disparaît mystérieusement aux îles Salomon, et D'ENTRECASTEAUX, son Diogène, meurt d'épuisement en mer ! Dans ces conditions, on comprend que le flirt intermittent des Français avec l'Australie n'ait pas débouché sur une durable histoire d'amour (162). Il fallut attendre 1982 pour que le nom de SAINT-ALLOUARN soit tiré de plus de deux siècles d'oubli. Cette année-là paraissait en Australie, « France-Australe », un ouvrage du professeur Leslie MARCHANT consacré aux navigateurs et savants français qui s'y étaient illustrés. En 1987-1988, la célébration du bicentenaire de l'Australie parachevait la mise en lumière de ces SAINT-ALLOUARN, BAUDIN, FREYCINET et autres PÉRON sans lesquels la connaissance du continent austral n'aurait pas été ce qu'elle fut. Une expédition franco-australienne fut mise sur pied pour repérer leurs reliques, pour « le Gros-Ventre » : les deux ancres perdues, la tombe du marin enterré, et surtout la bouteille d'annexion. L'expédition rentra bredouille mais tout espoir n'est pas perdu. (163)

On retrouve Sophie ALÉNO DE SAINT-ALOUARN (qui épousera un VEYER) le 29/VIII/1773 à la bénédiction de la deuxième cloche de l'église de Guengat nommée Marie-Renée-Sophie-Jacquette (164).

Malgré le tragique familial à répétition, Hyacinthe (165) et Aimé, fils aînés de Louis DE SAINT-ALOUARN, prennent le chemin de la mer. Mais dès 1784, enseigne de vaisseau à 22 ans, Hyacinthe obtient sa mise à la retraite, officiellement « à cause de sa santé », plus vraisemblablement par manque de vocation. Il convole à Lyon à la hussarde avec une jeune veuve dépourvue, prétendit-on, de « fortune, d'ancêtres et de vertu » ; le mariage est annulé, en 1789 il épouse une femme digne de son rang, Armande DE KERJEAN, et s'installe à la Villeneuve (en Plomeur). Aimé, tête brûlée, ne s'attardera pas davantage dans un corps où pourtant le nom DE SAINT-ALOUARN est prononcé avec respect. A la suite d'on ne sait quelles frasques, il est rayé des listes en 1788 (166).


b) Légende

Guengat et ses anciens seigneurs ont écrit bien des pages de l'histoire de la Bretagne. Mais il en était un qui avait une réputation de personnage futé, rusé, paillard peut-être, mais sûrement vantard. Fêtes et réjouissances dans le cercle étriqué de la petite noblesse campagnarde ne se concevaient sans la prestation de notre roublard.

Il possédait un joli manoir, dont il reste un donjon, et aussi un moulin à eau. Et Fiacre le meunier rendait des points à son maître quant à la roublardise. Tout était donc bien dans le meilleur des mondes.

Il se trouva qu'à cette époque se tint à Quimper-Corentin une réforme ou quelque montre de la noblesse ; le gouverneur délégué du Duc de Bretagne, venait recevoir courbettes, ronds de jambes et compliments de toute maison blasonnée. Quel petit hobereau vanta-t-il les mérites du sire de Saint-Alouarn ? L'histoire ne le dit pas. Le gouverneur voulut en avoir le coeur net et dépêcha un messager dans le beau pays de Guengat ; il avait un pli confidentiel à donner au maître des lieux. Il y fut reçu avec forte courtoisie, se restaura à satiété et repris la direction de la capitale de la Cornouaille.

Lorsqu'il eut pris connaissance du message du Gouverneur le sire de Saint-Alouarn pâlit ; il entra alors chez son meunier, l'air désolé, tenant à la main cette lettre.

- Ah mon pauvre Fiacre, gémit-il, quel terrible ennui m'arrive ! Figure-toi que le gouverneur de Bretagne, qui est en ce moment à Quimper, m'ordonne d'aller le trouver demain. Comme on lui a raconté que j'étais assez malin et débrouillard il veut me poser trois questions très difficiles que je devrais résoudre sur le champ. De plus il m'ordonne de faire le voyage ni par la route ni par les champs, de n'être ni nu ni habillé, ni masqué ni visible et finit par m'avertir que si je ne satisfais pas à toutes ces exigences, il n'y aura que la mort pour moi. On n'a pas idée d'une telle tyrannie ! Toi qui est un homme avisé et entendu, ne saurais-tu pas me tirer de ce mauvais pas ?

- Ne vous désolez-pas, Monsieur, répliqua le meunier. Il s'agit de montrer à ce singulier gouverneur que les Cornouaillais ne sont pas des imbéciles. Les conditions qu'il vous pose ne me paraissent pas impossible à remplir. Voulez-vous me laisser le soin d'aller à Quimper et de lui répondre en votre lieu et place. J'ai idée, avec l'aide de Dieu et de saint Fiacre, mon patron, que je pourrai en sortir à votre honneur et au mien.

- Vraiment, mon camarade, si tu fais cela pour moi, nulle récompense ne sera trop belle. Tu jouiras du moulin, ta vie durant, sans m'en payer un sol de fermage et j'offrirai à ta femme et à tes filles des robes d'écarlate galonnées d'or, telles que la marquise de Guengat elle même n'en arbore pas de plus belles au grand pardon de Mai.

De fait le lendemain matin alors que sonnait à toute volée le carillon de Saint-Corentin on annonça au Gouverneur le messager de Saint-Alouarn... et Fiacre attaqua sans coup férir :

- Salut à vous, Monsieur le Gouverneur, et à toute la compagnie ! J'arrive de Saint-Alouarn, comme vous l'avez ordonné. Je ne suis ni nu ni habillé, puisque mon seul vêtement est un filet de pêche. Je vous vois et ne suis pas visible, grâce au crible que je tiens devant ma figure. Je n'ai fait la route ni par la route ni par les champs ayant toujours exactement suivi la douve. Donc je suis en règle de ce côté. Voyons maintenant vos trois questions.

- C'est là que je t'attends. D'abord, je veux savoir combien il y a de pintes d'eau dans la mer ?

- Monsieur, il s'y trouve en chiffres ronds, 7.593 millions de milliards de pintes. Si vous ne me croyez pas, arrêtez tous les fleuves, rivières et ruisseaux qui s'y jettent et nous compterons.

- J'en tiens, confessa le Gouverneur. A présent, dis mois combien je vaux ?

- Vous valez, Monsieur, 29 derniers d'argent.

- Rien que çà ?

- Et oui, car voyez-vous Notre Seigneur Jésus Christ a été vendu pour 30 deniers.

- Flatteur, va ! Et enfin, dites-moi à quoi je pense ?

- La réponse est des plus aisées, Monsieur. Vous croyez parler au seigneur de Saint-Alouarn et vous n'avez affaire qu'à Fiacre BODIGOU, son meunier, pour vous servir.

Le gouverneur éclata de rire et dit : « Je pardonne à ton maître et je te donne le dernier qui manquait. Ainsi nous sommes au compte du jardin des Oliviers ». Il ajouta : « Si tous les gens de Guengat sont aussi dégourdis que toi, cela doit faire une paroisse de fameux finauds. » Fiacre s'en retourna après s'être bien régalé et conta l'histoire à son seigneur. Ma doué ! Qu'on s'amusa au moulin de Saint-Alouarn ! Fiacre fut récompensé : il reçut le moulin, la meunière eut de beaux atours. Quant à la fille du meunier, elle reçut une dot et le sire de Saint-Alouarn fut le parrain de son premier-né. (167)

(152) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 27

(153) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 27

(154) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 27

(155) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - Couverture

(156) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 27

(157) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 27

(158) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 29

(159) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 31

(160) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 31

(161) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 31

(162) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 31

(163) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 32

(164) Acte de baptême du 29/VIII/1773 - A.D.F. - 3 E Guengat Baptêmes

(165) Hyacinthe-Marie-Marcellin ALLÉNO DE SAINT-ALOUARN. In A.D.F. - B 46 ; A.D.F. - B 79

(166) DUIGOU (Serge) : L'Australie oubliée de SAINT-ALLOUARN - Ed. Ressac, 1989 - p. 29

(167) PÉRENNES (H., Chanoine) : Guengat - Rennes, 1941

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