A. - Le Tiers-État

Au XIIIème siècle, Kerdrein ou Caer Dreen : De Caer Dreen, un minot de froment et 6 sous pour la viande et la moitié de la dîme, et la nourriture pour 7 hommes une année et pour 6 l'autre (1).

Démographie au Moyen-Age : Guengat : de 484 à 600 habitants (2).

La population bretonne diminue au début du XVème siècle. L'indice le plus significatif est constitué par la diminution du nombre des feux contributifs dans beaucoup de paroisses. La plupart des communautés obtiennent des rabats de feux importants : Guengat (- 30%), Plonéis (- 50%), Locronan (-21%)... (3)

Au sein de la masse paysanne, soit l'immense majorité de la population, deux catégories se détachent, l'une privilégiée sur le plan fiscal, ce sont les métayers (quelques individus par paroisse), l'autre au statut mal connu, ce sont les « personnaux ». Sans doute s'agit-il de dépendants du duc ou de l'évêque de Quimper. Au nombre de 33 à Crozon, de 11 à Châteaulin et de 17 à Plomodiern, ils sont astreints à l'impôt. Certains de ces ruraux quittent leur paroisse d'origine pour une autre dans les alentours. Neuf départs sont ainsi intervenus à Plogonnec, dont deux pour Kerfeunteun et quatre pour Guengat. Ces masses rurales vivent sous l'emprise des seigneurs, dont les plus marquants sont signalés par les auteurs d'enquête. Le duc est ainsi seigneur direct à Guengat, où un tiers des contribuants relève de lui. Les ROHAN sont solidement implantés dans la région : les deux tiers des chefs de famille vivent sur leurs fiefs à Guengat et à Plonéis (4).

Le rôle des impositions en 1707 nous montre la paroisse divisée en cinq fréries : Pencran, Saint-Alouarn, Tyrioual, le Bas, le Bourg (5).

Evêché de Quimper - Paroisse de Guengat : Imposition pour le vingtième : année 1751 : François Guillaume LE GOAZRé DE KERVéLéGAN (6) déclare posséder dans la paroisse de Guengat des biens faisant partie des dépendances du manoir de Toulgoat. « Le lieu de Keranroué tenu sous moy à titre de domaine congéable par Jean LE MOULLEC ». « Le lieu de Kerangal tenu au titre de domaine congéable par Marin LE QUÉAU ». « Le lieu de Kervenal tenu sous le déclarant au titre de domaine congéable par la veuve et héritiers François LE MOULLEC ». « Le lieu de Keryeven tenu sous le déclarant au dit titre de domaine congéable par la veuve et héritiers de Claude BERNARD ». - Année 1753 : « Guillaume Nicolas LEISSèGUES DE KERGADIO (Famille Cf note 213), demeurant au bourg de Locronan, possède une rente foncière de 39 livres 8 sols sur le village de Lanvon payable par Pierre LE BIDON et Allain TANGUY » (7).

On y compte 1.000 communiants en 1779 (8).

La maison DE GUENGAT avait une haute justice, relevant de la sénéchaussée de Quimper. L'auditoire était au bourg (9). La haute justice de Guengat et de Lescouet (Lezarscouet), avec deux autres moyennes de ce territoire, s'exercent tantôt à Châteaulin et tantôt à Locrenan, c'est-à-dire six mois dans un endroit et six mois dans l'autre (10).


Paysans cornouaillais (XVIème-XXème siècle) : Robart-Huella en Guengat : Quatre siècles au moins de continuité familiale.

C'est l'histoire d'une ferme que nous présentons. Elle se nomme Robrat. Après bien des hésitations, déjà au XVIIIème siècle, puis au XIXème, elle est devenue Robart. Nous utiliserons son ancienne appellation.

Pour la découvrir, on emprunte, à la sortie de Quimper, la vieille route de Guengat. Le terme huella (uhella) nous donne sa situation : sur sa colline, dans ce qui se voulait peut-être jadis une enceinte protégée, dont l'ouverture est une grande porte cochère cintrée, au pied-droit usé par le frottement du joug des boeufs (tradition orale) qui sortaient et rentraient pour les charrois et les labours, Robrat évoque quelque résidence seigneuriale du passé. La disposition des lieux, la façade de la maison d'habitation, elle-même tournée vers l'intérieur, chantier rural (s'y joignait aussi une question d'orientation), laisse à penser que son premier occupant, paysan aisé, cherchait à se garantir de l'insécurité des campagnes. La maison « manale » de ce « laboureur de terre », bâtie en 1656 en belles pierres de taille, comporte une entrée ornée d'une double accolade finement creusée et une élégante fenêtre à meneau. Cette habitation, plus grande jadis, que l'on appelle d'ailleurs « an ti bras », était couverte de « gleds » (paille) jusqu'au XIXème siècle.

En 1574, le « laboureur de terre » est déjà un COZMAO, Guillaume, qui encore succède à son père, prénommé Jan, soumis, du point de vue des charges seigneuriales, aux DU BRIEUX (11), dont le manoir du même nom est sis en la paroisse de Kerfeunteun.

Le paysan qui vit à Robrat au XVIème siècle n'est pas propriétaire de sa ferme ; du moins pas entièrement. On n'arrive pas à établir avec précision quel contrat le lie en 1579 à un bourgeois quimpérois, qualifié de « noble homme » et qui se nomme Pierre LAOUET, sieur du Launay. La terre, le fonds, appartient pour le moins à celui-ci, et le tenancier est peut-être domanier, payant au « seigneur foncier » une rente convenancière. Pour lors, les édifices et superfices, autrement dit la maison, les crèches et autres dépendances, lui appartiendraient en vertu d'un « usement » local : le domaine congéable (12).

Puis, on rencontre un Guillaume en 1633 à Robrat, marié, semble-t'il, à Marie CARIOU, et de nouveau un Jan qui a épousé Marguerite QUERE. Le fonds de Robrat appartient alors à Jan BOUTOULIC ou plutôt BOUTOUILLIC, sieur de Kerguenno, autre Quimpérois, mari de damoiselle Marie DU STANGIER (13). En effet, il appelle Jan COZMAO « mon homme domanier », et l'on ne sait pas non plus quel marché ils font en 1650 lorsque Jan COZMAO, astreint au paiement d'une rente en nature et en argent - deux combles d'avoine et autant de froment (précieuse céréale à l'époque !), deux chapons et quatre livres, quinze sols -, verse en outre entre les mains de BOUTOUILLIC la somme de six cent cinquante livres pour une acquisition.

Dans les actes, Jan COZMAO, ou parfois LE COZMAO, s'appelle aussi bien LE COUAN, LE CANAON, LE COUZAOUIN. A une époque où l'on s'en tient à l'orthographe phonétique des patronymes, on pourrait y voir l'effet d'une prononciation avec un fort accent. D'ailleurs, comme à la plupart des paysans, ses contemporains, il faut lui lire les textes en les traduisant en « vulgaire langage breton ». On finit par écrire LE CHOUAN et quelqu'un, excédé probablement, rectifie de sa plus belle plume par LE COZMAO.

Personnalité dans sa paroisse, en tant que fabricien, Jan semble doué d'un certain esprit d'entreprise, de même son voisin, Ollivier LE TALLEC. Nous sommes en 1641. Dans la région on cultive le seigle, le sarrasin et l'avoine, et on pratique aussi l'élevage des bovins. Jan COZMAO prend, en vertu d'une convention à « mi-croît », des vaches maigres et des jeunes boeufs. Une fois engraissées, il ne pourra pas bien sûr vendre ces bêtes sans s'entendre avec son voisin puisque le bénéfice doit être partagé. Au reste, ne sont-elles pas faciles à reconnaître ? Ainsi les vaches ont le poil noir et l'une d'entre elles a le bout de la queue blanc !

Mais Jan a des ennuis qui lui viennent du côté des GOURITEN, héritiers de sa défunte soeur Janne, établis à Kerben en Kerfeunteun. Enfin, « fatigués d'un long procès » - on y est pourtant habitué à l'époque - tous s'arrangent à l'amiable et s'engagent à respecter l'accord intervenu sous peine « d'arrest et hostage de leurs personnes en prison, fermés pour dette comme pour deniers royaux ».

En 1643, Jan COZMAO achète à LE TALLEC, son voisin, les édifices et droits réparatoires du convenant de Robrat-Izella (le Robrat d'en-bas), dont le « seigneur foncier », comme on disait, est encore un bourgeois quimpérois : Robert DOUCIN. La terre de Robrat-Huella appartiendra aussi à ce dernier puisqu'il recevra en 1652, « pour deux années écoulées, six pippes de seigle » de COZMAO. Pour ce qui concerne Robrat-Izella, le prix fait - six cent cinquante livres - Me DOUCIN estime qu'il a son mot à dire et l'on se retrouvera devant les hommes de loi. Mais il ne sera plus question de cette acquisition, du moins elle n'apparaîtra plus dans les actes (par contre, les COZMAO acquièrent le « convenant » voisin de Poul-ar-Feunteun. L'acte manque dans les papiers de Robrat).

Il convient de présenter ce Robert DOUCIN, maître armurier dans le faubourg de la Terre-au-Duc, dont l'épouse met au monde quinze enfants, baptisés dans la paroisse de Saint-Mathieu entre 1631 et 1658. Armuriers et graveurs, les DOUCIN de cette famille feront aussi un retour à la terre et nous fourniront l'épilogue, au XVIIIème siècle, d'un descendant du « seigneur foncier » de Robrat-Huella épousant la fille d'un domanier, issue des COZMAO.

Jan COZMAO, susnommé, a au moins deux fils dont l'un, pour suivre la tradition, s'appelle Guillaume, l'autre Jacques, et une fille, Constance. Guillaume, l'aîné, épouse Catherine LE GARS. Il prend la tête de l'exploitation de Robrat-Huella en 1651, après avoir enterré son père en observant toutes les convenances. Une curiosité pleine d'intérêt à l'égard de cette famille nous porte un regard sur le « mémoire des frais funéraux faits et déboursés » lors des obsèques de l'ancien maître de Robrat. Au reste, l'abbé HASCOËT a tout comptabilisé :

« En pain et en viande : 50 sols

En vin le jour de l'enterrement : (?)

Au Curé LE SCANFF et à son vicaire pour les assistances : 30 sols

Aux cloches, grandes et petites : 15 sols

Aux Messires les prêtres pour les services durant la huitaine : (?)

Aux sonneurs de cloches : 30 sols

Au fabricien pour foulage et allumage (des cierges) durant la huitaine : 30 sols. »

Guillaume dirige donc la ferme. Sept années se passent. Robrat appartient toujours à Marguerite QUERE, mère de l'exploitant. En 1658, la rente que son fils lui verse consiste en la somme de neuf livres et, en nature, à une « demi-pippe de seigle, deux combles de blé noir et six aulnes de toile » de chanvre.

Auparavant, en 1652, Constance, soeur de Guillaume a contracté une union avec Soz SEZNEC. Il a bien fallu que la mère lui remette sa dot : trois cents livres « en louys et demi-louys d'argent », en y ajoutant la tasse ou coupe d'argent, d'une valeur de trente-six livres, cadeau traditionnel à la mariée, un peu de vaisselle d'étain, l'« argenterie » de ce temps-là : un plat, deux assiettes, deux cuillères, un beurrier, plus un pot de quart, un coffre de chêne (l'armoire de l'époque), et elle emmena deux vaches.

La ferme de Robrat étant soumise aux charges de la seigneurie de Guengat, un aveu fourni à la dame douairière du Cludon donne lieu, en 1673, à un arpentage des terres de ce village « profité » par Guillaume COZMAO.

La maison « manale » occupée par ledit laboureur est citée comme appartenant aux héritiers de Robert DOUCIN. L'exploitant n'est-il pour lors que simple fermier ? De toute manière, on retrouvera par la suite les éléments du « convenant ». Stabilité de la terre travaillée par des hommes de même souche, Robrat-Huella, mesurée en journaux et en cordes (correspond à 48,6 ares - 80 cordes par journal), conservera trois siècles plus tard approximativement la même superficie : vingt hectares.

Guillaume COZMAO et Catherine LE GARS ont deux garçons : François et Nicolas, trois filles : Catherine, Marie et Constance, celle-ci filleule du recteur de Guengat : « Noble et discret Missire » Jacques DE L'HONORE. La première, elle quitte le clan familial pour suivre son mari, Jan SANNIER, à Rinquellic, dans la même paroisse. Puis Catherine épouse Richard LE TIMEN. Les parents COZMAO s'engagent, à leur tour, à donner à leur fille une tasse d'argent, de la vaisselle d'étain, un « bassin d'airain », une armoire, une « garniture de lit » et deux vaches. Le tout livré chez les nouveaux mariés le lendemain des noces. Catherine recevra par la suite six cents livres tournois.

Le futur est considéré comme apportant, pour le moment, ses bras en capital. Ses espérances sont lointaines. Toutefois, en attendant, ses parents promettent de prendre chez eux le jeune ménage, de le nourrir et lui donner une vache qui s'ajoutera aux deux autres apportées par la demoiselle COZMAO.

Le 18/V/1683, nous voyons l'abbé Louis LE DOARÉ au chevet de Guillaume COZMAO. On ne nous dit pas quelle est sa maladie, mais lui, il sait qu'il mourra bientôt et tient à marquer son départ de ce monde par des générosités envers les saints dont il a sollicité l'intercession tout au long de sa vie, ainsi qu'aux lieux de ses pèlerinages. Il donne :

A sa paroisse d'abord, comme il se doit : « Une grande juppe verte » (Chupenn) et promet :

« A Sainte-Brigitte, un haut-de-chausses violet

A Notre-Dame du Juch : quinze sols

Saint-Even : dix sols

Saint-Pierre en Plogonnec : dix sols

Saint-Thégonec : dix sols

Saint-Eloy : dix sols

La chapelle Seznec : dix sols

L'église paroissiale de Plogonnec : quinze sols

Notre-Dame de Kergoat : quinze sols

Notre-Dame de Lorette : quinze sols

Sainte-Anne de Fouesnant : quinze sols

Saint-Guennal (Chapelle à Penhars) : dix sols

Plonéis, au Rosaire et Saint-Maurice, à moytié : une camisole rouge,

Un geste de charité :

Aux pauvres de Guengat : trente sols »

Et enfin, Guillaume « veut qu'après son décès l'on fasse dire une messe des cinq plaies à la paroisse » (Il y a avait une dévotion des cinq plaies du Christ).

(1) Fragment d'un rentier du XIIIè siècle - Cité par DILASSER (Maurice) : In Locronan et sa région, p. 158

(2) DILASSER (Maurice) : Locronan et sa région - Paris, 1979 - p. 184

(3) DILASSER (Maurice) : Locronan et sa région - Paris, 1979 - p. 185-186

(4) DILASSER (Maurice) : Locronan et sa région - Paris, 1979 - p. 187

(5) ABGRALL (Chanoine) & PEYRON (Chanoine) : Guengat - 1914 ; ABGRALL (Chanoine) : Kannadig

(6) GOAZRé (LE) : Seigneur de Kermaonet (en Cuzon), de Kervélégan (en Briec), de Penesquen (en Plonéour), du Hellez, de Toulgoët (en Penhars). In POTIER DE COURCY (DE) (Pol) : Nobiliaire et armorial de Bretagne - t. I. - p. 455

(7) Imposition pour le vingtième, évêché de Quimper, paroisse de Guengat  - A.D.F. - 3 C

(8) OGÉE : Dictionnaire de Bretagne - t. 2 - 1779, p. 154

(9) PÉRENNES (H., Chanoine) : Guengat - Rennes, 1941

(10) OGÉE : Dictionnaire de Bretagne - t. 2, 1ère éd. - 1779, p. 154 ; Cité In DIVERRÈS (H.) : Monographie de la commune de Guengat - B.S.A.F. 1891

(11) BRIEUC (DU) : Seigneur du Brieuc (en Kerfeunteun), de Kerescar, de Tréota (en Poullan), de Kervent. In POTIER DE COURCY (DE) (Pol) : Nobiliaire et armorial de Bretagne - t. I. - p. 171

(12) LE GRAND (Alain) : In B.S.A.F. - 1980 - p. 207-224, Paysans cornouaillais (XVIè - XXè siècle), Robart-huella en Guengat, quatre siècles au moins de continuité familiale.

(13) STANGIER (DU) : Seigneur du Stangier (en Plouguer-Carhaix), de Lizilliec (en Pestivien), du Colen (en Plourac'h), de Keruslain, de Chef-du-Bois, de Penanec'h, de Lescanic (en Saint-Gilles-Pligeau), des Portes. In POTIER DE COURCY (DE) (Pol) : Nobiliaire et armorial de Bretagne - t. II. - p. 573

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