L'abbé LE DOARÉ nous assure que le testateur a « l'esprit sain et très bonne connaissance ». On le croit volontiers, sans avoir besoin du témoignage de Henry MAO et de Jean SEZNEC le jeune, présents. En effet, Guillaume COZMAO, qui a promis jusqu'à son haut-de-chausses, ne peut pousser plus loin l'abnégation. Il tient à ce que soit mentionné : « A déclaré que Guillaume LE BIDON, de Poularfeunteun, luy doit une jument qu'il a achetée à Pencran des biens des mineurs, pour le prix de quatorze livres dix sols ». Avec ledit haut-de-chausses de couleur violet, sa « chupenn » -sa veste- de couleur verte (ou bleue -l'abbé LE DOARÉ a hésité et il y a une rature), sa camisole rouge, nous pouvons imaginer Guillaume en habit du dimanche, cet accoutrement se complétant bien sûr par des bas de coton ou de chanvre, des souliers, un chapeau. Dans la semaine, il est vêtu de toile de fabrication ménagère, c'est-à-dire de chanvre, avec des « ganaches » ou guêtres aussi de toile, et chaussé de sabots.

Le maître de Robrat s'en va quelques semaines après avoir dicté ses dernières volontés. Le 13/VII/1683, Catherine LE GARS paie au recteur de Guengat la somme de six livres représentant les frais d'enterrement de Guillaume, son mari.

Il y a de pénibles partages qui doivent se faire, des intérêts défendus âprement. Catherine COZMAO, l'une des filles du défunt, vit à Robrat. Elle a perdu en 1682 son premier mari, Richard LE TIMEN, et elle a convolé en secondes noces avec Guillaume HÉNAFF. On exige qu'elle reconnaisse officiellement que les « frais funéraux » de Richard LE TIMEN, malgré une quittance donnée à son nom, ont été payés en fait par son défunt père, Guillaume COZMAO, laquelle somme viendra sans aucun doute en déduction de « ses héritages ».

En 1685, la veuve COZMAO doit, en vertu du droit de rachat qui lui donne, moyennant une rente, l'investiture en tant que successeur de son mari, déclarer les maisons, terres et héritages qu'elle tient à Robrat-Huella, à « devoir de foy, hommage et lods et ventes », sous messire Jacques-Claude KERGORLAY, seigneur de Cludon, comte de Guengat et de Leshascoët, baron de Pestivien, de Rimaison et autres lieux.

Catherine disparaît, elle aussi, en 1689. Suit de nouveau un partage des « droits réparatoires » du convenant de Robrat et de celui de Poularfeunteun, cette ferme toute proche tenue aussi à domaine congéable par les COZMAO. Le seigneur foncier est ici, pour ne pas changer, un bourgeois : le sieur Marc GUESDON.

Il y a encore Marie qui, très jeune, a épousé Vincent COATMEUR, « valet à bras » chez son tuteur, Yves PRIGENT. Elle a eu ses six cents livres de dot, tasse d'argent, coffre, vaches... Hélas, cette union sera de courte durée. Malade chez ses parents en juin 1689, elle meurt au printemps suivant, le 25/IV/1690, jour de la fête de « Monsieur Saint Marc ».

Sa mère, Catherine LE GARS, veuve COZMAO, est, à ce qu'il semble, une femme de tête. Il ne s'établira jamais autant de papiers que sous son règne. Marie décédée, il lui faut encore additionner des chiffres, toujours en prévision des fameux « héritages ». Le « soulagement » de la malade a coûté quarante-cinq livres. Elle a été alitée pendant près d'un an, « les membres perclus et sans pouvoir se conduire en aucune manière à moins d'avoir quelqu'un pour la porter et reporter ». Ainsi, Catherine LE GARS a « estée obligée » de faire des « dépenses et avances pour fournir à sa dite fille, pendant ladite maladie mortelle, tant en pain blanc, viandes fraîches, ... vin d'Espaigne et autres vins et toutes autres choses qu'elle souhaitait, et tenir une servante continuellement à entretenir, conduire et blanchir et lui tenir et fournir des lingeries blanches sur son lit... ».

Vingt années s'écoulent. En 1707, c'est le tour de François COZMAO, marié à Urbanne LE BELLEC, et qui, depuis plusieurs années, conduit la ferme de Robrat, de fournir un aveu à la seigneurie de GUENGAT. Il agit également « pour Nicolas et Constance, ses frère et soeur, et pour Guillaume LE HÉNAFF, père et garde naturel des enfants nés de son mariage avec défunte Catherine COZMAO ».

Ainsi, le partage qui a eu lieu en 1689 n'est pas effectif ? La propriété de Robrat est-elle toujours indivise ? La somme de neuf cents livres que François devait verser à Nicolas en 1701, lors de son mariage avec Marguerite LE QUEFFÉLEC, se trouve-t-elle toujours investie dans ladite exploitation ? Quoi qu'il en soit, la mère, Catherine LE GARS, veuve COZMAO, toujours en vie, octogénaire sans doute, garde des intérêts dans la ferme, sans que l'on puisse en déterminer l'importance. Une méchante affaire l'oppose, de toute manière, à Vincent COATMEUR, veuf de Marie, celui-ci soutenu par son « tuteur » -ou son ancien tuteur- qui fait pour lors office de témoin. COATMEUR reproche à sa belle-mère de garder par devers elle, « de mauvaise foi », une somme de quatre-vingt-seize livres lui appartenant. Toutefois, si elle est assez « hardie » pour soutenir devant la justice que c'est faux, on ne pense pas qu'elle ait « la confiance de le jurer ». Aussi, les défenseurs de Vincent « luy défèrent le fait à serment sur les Saints Evangiles, qu'elle sera condamnée d'exécuter dans l'église, devant le crucifix, en présence de celuy de ces Messieurs du siège commis à cet effet ». On ignore le résultat de cette épreuve de vérité.

Le 29/IV/1710, il nous est permis de pénétrer dans la maison de Robrat-Huella, après le décès de François COZMAO. On fait à la ferme un inventaire avec apposition, sur certains meubles, des scellés consistant en une bande de papier « armorié aux armes du Roy ».

Voici la chambre où mourut ledit laboureur, dans ce robuste lit clos de chêne. La literie indique encore une certaine aisance : une couverture de couleur bleue, deux draps que l'on appelle « linceuls », un traversin et une couette de balle (d'avoine). Dans la même pièce se trouvent un autre lit clos avec son « accoutrement », mais un seul drap, un grand caisson muni d'un couvercle, dit « grenier » -d'ailleurs il peut contenir quatre boisseaux de grains- et un autre encore. Tout à côté est un coffre façonné, de facture plus ou moins élégante, meuble que la mode a déjà remplacé par l'armoire.

Puis nous entrons dans le « galetas », nom que lui donnent ceux qui font le dénombrement des meubles et effets, ustensiles et matériels divers. Ce local est en fait la cuisine puisque, dans l'âtre, un « méchant » pot de fer pend au bout de la crémaillère. Les inventaires commencent généralement par là. Un fusil est accroché quelque part, sans doute au manteau de la cheminée, à portée de la main du paysan : il y a parfois des loups dans la région. On voit dans la même pièce l'habituelle table « coulante » dont le coffret sert de garde-manger. On oublie les bancs ou « escabeaux ». Par contre, un panier est là contenant les ustensiles de cuisine. On a tort de ne pas les compter dans l'inventaire sous prétexte qu'ils sont sans valeur : quelques écuelles de bois probablement, aucune assiette. Quant à la vaisselle d'étain, la coupe ou tasse d'argent du cadeau de noce, elles ne se retrouvent nulle part sans doute parce qu'ici aussi ce genre d'objet se transmet de la main à la main aux héritiers. En fait, c'est la vie communautaire : on mange volontiers dans les chaudrons ou les grands bassins d'« airain ». Ceux-là sont dénombrés. On y met la réserve d'eau et aussi le lait. Au reste, on évalue leur contenance en « barattées ». Le couteau de table de dimensions respectables, servant à couper le pain, ne manque pas d'être compté. Une poêle à crêpes, deux bouteilles de « gros verre » complètent ces ustensiles. La cuisine sert aussi de chambre puisque l'on y trouve deux lits clos et une armoire à deux battants.

Cette pièce communique avec une autre chambre meublée d'un grand lit clos et de deux coffres, dont l'un est « façonné à l'antique ». L'autre, plus petit, renferme les « hardes des enfants ».

Une certaine anarchie réside dans l'utilisation des locaux. On trouve des « greniers » dans la chambre, là des lits clos dans la cuisine. A proximité sont entreposées une barrique pleine de sel et une autre dans laquelle plonge « une moytié de cochon salé » !

Jetons un coup d'oeil sur le chantier rural : l'outillage consiste en quelques fourches et crocs, cinq faucilles « à scier » le blé ; une charrue avec son soc existe sûrement quelque part. Une charrette à roues ferrées est garée sur l'aire et, tout à côté, une autre à roues non ferrées.

Par ailleurs, deux « crèches » abritent, l'une sept vaches et huit taurillons « sous différents poils » et, cohabitant plus ou moins avec des bovins, un « grand cochon » ; l'autre, deux vaches « sous poil noir » avec chacune leur veau. Dans l'écurie, on trouve une jument « sous poil noir » et son poulain.

François COZMAO laisse en outre, ou plutôt « délaisse » comme on dit à cette époque, bien que son départ soit involontaire, une garde-robe assez misérable par rapport à celles que nous verrons par la suite : six camisoles, sortes de vestes sans doute, de couleur bleue -les unes de « demi-baguette », les autres de « demi-ratine »- une « paire de culottes » de droguet, une culotte de toile, sept chemises, « vieilles et rompues », de toile d'étoupe et de chanvre, deux paires de bas, une vieille paire de souliers.

Urbanne LE BELLEC a eu plusieurs enfants de son défunt mari : Yves COZMAO, marié en 1721 à Louise LE GUILLOU et associé à sa mère pour l'exploitation de la ferme de Robrat, dont il reçoit la moitié des profits ; Nicolas qui mourra sans hoirs ; François, que l'on appelle aussi Marin, à ce qu'il semble -un prénom assez porté dans la région- et qui est établi à Kerguerbé ; Marie, femme de Guion BIGER, de Pluguffan ; Marguerite et Elisabeth, celle-ci décédée probablement en bas âge.

Le partage des « héritages et succession » des époux COZMAO se fait en 1729, au décès d'Urbanne LE BELLEC, à l'âge d'environ soixante-dix ans.

En définitive, Marguerite reste à Robrat. Elle a épousé en 1734 René LIGEN. Celui-ci assure en 1741, avec quelque importance, les fonctions de procureur fiscal. On le voit remettre entre les mains de Pierre MOULLIN, conseiller du roi, receveur des deniers royaux, la somme de soixante-douze livres, quatre sols, dix deniers, qu'il a collectée pour le dernier terme des fouages, à raison de quatre livres, dix sols, dix deniers par feu (disons : par foyer). René LIGEN disparaît prématurément en 1744. Un rapide inventaire de sa garde-robe peut nous fournir un autre élément de ce qu'a été son standing. On dénombre : dix-huit chemises, « tant bonnes que mauvaises » ; treize pourpoints avec ou sans manches, de couleur bleue, rouge, violette ; quatre culottes de toile et une d'étoffe brune ; deux paires de guêtres ; deux chapeaux. C'est confortable.

René LIGEN laisse deux enfants : un fils, François, une fille Marie. Par le mariage de celle-ci, un DOUCIN, François (fils de Jean, du lieu de Kerlivian), va entrer dans la famille COZMAO. Un siècle s'est écoulé depuis que nous avons fait la connaissance de ces DOUCIN. Ils ont déjà plus anciennement contracté des alliances dans la paroisse. Paysans aisés, ils s'enorgueillissent sans doute du titre d'« honorable homme » que l'on donne officiellement à chacun d'entre eux.

Pour le moment, Marguerite COZMAO continue à régner sur Robrat. En 1765, « informée du pieux dessin » qu'a son fils François -lequel a reçu l'acolytat- « d'entrer dans les Saints Ordres... moyennant la grâce de Dieu et l'agrément de Mgr l'Evêque de Quimper, comte de Cornouaille », elle lui assure une rente viagère de soixante livres par an, la vie durant, ou tout au moins jusqu'à ce qu'il soit titulaire d'un bénéfice ecclésiastique suffisant. Ladite rente (en fait, titre clérical requis nécessairement pour acquérir le sous-diaconat), assise sur le fonds de Robrat, lui tiendra lieu d'héritage.

Quand François DOUCIN s'installe à Robrat après son mariage avec Marie LIGEN, sa belle-mère, Marguerite COZMAO, garde des intérêts dans la ferme. Elle reçoit de ses enfants une rente de six cents livres. De l'union de François DOUCIN et Marie LIGEN naissent deux fils : Jean et François (Jean épouse une LE COEUR et s'établira à Kerven en Pluguffan). Veuf en 1772, François DOUCIN père, fabrique de l'église paroissiale (en 1760), épouse Marie QUELEN, qui lui donne une fille : Marie. On s'attend à trouver des enfants nombreux dans ces familles paysannes des XVIIème, XVIIIème et XIXème siècles. Mais ils sont deux, trois, quatre et jusqu'à cinq. Il est vrai qu'il s'agit de ceux qui ont atteint l'âge adulte et que plusieurs sont décédés probablement en bas âge (la mortalité infantile était forte).

Marguerite COZMAO, associée à son gendre, vit encore en 1778. Présente à la passation de tous les actes notariés, son accord est indispensable à l'établissement du contrat de mariage de son petit-fils, prénommé François comme son père.

François DOUCIN convole avec une riche héritière, Marie-Magdelaine LE HÉNAFF, dont les parents tiennent la ferme de Kerdaridec en Penhars. On n'entre pas les mains vides chez les DOUCIN-COZMAO. Mais les actes qualifient les HÉNAFF « d'honorables gens », et ici c'est l'aisance, voire la richesse, que l'on prend en considération. Au reste, devant Me GAILLARD, notaire royal de la sénéchaussée et siège présidial de Quimper, ils ont « compté pour la dot (de la demoiselle) en écus de six et de trois livres, la somme de deux mille quatre cents livres au dit DOUCIN père, que celui-ci a prise et emportée ». Il va sans dire que ladite dot sera remboursée « à leur estoc » en cas de décès sans hoirs et, en garantie, François DOUCIN père « déclare affecter et hypothéquer tous ses biens ». En outre, les HÉNAFF donneront à leur fille, avant les noces, pour entrer dans la communauté, des meubles, une armoire à double battant, un bassin d'airain, de la literie, un coffre et, en plus, une vache et son veau. Le tout représente la somme de trois cents livres, avec le complément en argent de soixante-sept livres.

De son côté, François DOUCIN père et sa belle-mère, Marguerite COZMAO, s'engagent à loger les jeunes époux et à leur donner, « pour récompense de leurs travaux », le tiers des « profits » du ménage (meubles, outillage, cheptel) et le tiers des « produits » de Robrat-Huella et de Poularfeunteun, pendant les trois premières années qui suivront leur mariage, étant entendu qu'ils en recevront ensuite la moitié. En effet, outre Robrat, les consorts DOUCIN-COZMAO sont toujours propriétaires, à titre de domaine congéable, des édifices et droits réparatoires de la ferme voisine de Poularfeunteun. La terre (la traduction des « cordes » en mesure nouvelle donne une superficie de 22 hectares) appartient maintenant à écuyer Jean-Baptiste GOUEZNOU, seigneur de Keraval, Kerdour et autres lieux, qui demeure en son hôtel à Quimper, paroisse Saint-Mathieu. Le bail, renouvelé pour neuf ans à partir de la Saint-Michel 1768, stipulait que Marguerite COZMAO et son gendre paieraient au seigneur foncier une rente de cinquante-trois livres, plus, selon l'usage et en une seule fois, une commission de trois cents livres. Ils auraient aussi à acquitter les droits de champart (impôt seigneurial sur les récoltes) en cas d'écobuage (remise en culture des jachères).

François DOUCIN et son épouse Marie-Magdelaine LE HÉNAFF acquièrent en 1783 le fonds de Poularfeunteun, passé, par héritage probablement, à François GUESDON, sieur de Kermoisan, moyennant douze cents livres et le paiement d'une rente censive et perpétuelle de soixante livres par an. Les bannies, qui sont faites deux dimanches consécutifs par le ministère d'un sergent de la juridiction du Quéménet, ne suscitent aucune opposition et les intéressés sont « appropriés ». Les époux DOUCIN bailleront plus tard, à leur tour, ladite ferme à domaine congéable, et les preneurs ne manqueront pas.

En 1786, François DOUCIN rend « aveu », en son nom, ceux de son frère Jean et de sa soeur Marie (née du second mariage de François Doucin, veuf de Marie LIGEN, avec Marie QUELEN), pour les terres et héritages roturiers qu'il possède « à titre de simple obéissance, lods et vente, rachat et autres droits et devoirs seigneuriaux et féodaux », sous haut et puissant seigneur Messire Claude, Yves, Joseph, François QUEMPER, chevalier, comte de Lanascol et Guengat, vicomte de Leshascoët, Le Quéménet, etc.

A la suite d'un partage amiable, Robrat-Huella devient en 1791 la propriété de François DOUCIN, contre versement à son frère et sa soeur d'une somme de deux mille sept cents livres, dont la moitié


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